Ethnologue et traductrice, Ananda Devi est née à l’île Maurice. Auteur prolifique, elle a publié des recueils de poèmes, des nouvelles et des romans. Couronnée par le Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises en 2014, elle est considérée comme l’une des figures majeures de la littérature de l’océan Indien.
roman publié en janvier 2018
« Une jeune adolescente, née obèse, mange, grossit et s’isole. Sa mère s’enfuit, horrifiée par son enfant. Ses camarades de classe la photographient sans répit pour nourrir le grand Œil d’internet. Son père, convaincu qu’elle aurait dévoré in utero sa jumelle, cuisine des heures durant pour nourrir « ses princesses ». Seule, effrayée par ce corps monstrueux, elle tente de comprendre qui elle est vraiment. Quand elle rencontre par accident l’amour et fait l’expérience d’autres plaisirs de la chair, elle semble enfin être en mesure de s’accepter. Mais le calvaire a-t-il une fin pour les êtres « différents » ?
Conte de la dévoration et roman de l’excès, Manger l’autre est une allégorie de notre société avide de consommer, obsédée par le culte de la minceur et de l’image conforme. Avec force, virtuosité, et humour, Ananda Devi brise le tabou du corps et expose au grand jour les affres d’un personnage qui reflète en miroir notre monde violemment intrusif et absurdement consumériste ».
Commentaire : L’auteure dénonce le regard tueur des autres et de la société sur la personne grosse. Avec ce titre du roman : la dévoration de l’autre est figurée par un double gémellaire anorexique. Ce double figure une conflictualité interne, reproduite dans les conduites alimentaires : d’une faim insatiable sans faim à une faim de non faim. On entre dans l’univers intime d’une jeune fille humiliée depuis l’enfance par ses paires qui la condamnent et une mère qui abandonne. Son obésité de naissance sera aggravée par l’amour d’un père qui la gave sans aucune frustration contenante ; voir l’empoissonne dans une jouissance orale nourrie par des plats « divins ». Cette vénération sans limite l’emprisonne dans sa chair. Nous serons témoin d’une avancée progressive dans l’autodestruction car le regard meurtrier se retourne ici contre soi par la personne grosse, devenue obèse. Cela malgré le regard bienveillant d’un homme qui n’a pu faire écran, rempart, tant la haine de soi est forte. Une insatiabilité l’engloutie, l’étouffe progressivement et l’enferme, dans une métaphore de nos temps modernes où la consommation impérieuse et la prévalence d’une l’image de soi conforme prennent le dessus sur l’être.