Les addictions, plaisir et perte de contrôle  

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 » Tabac, drogues, alcool…, les addictions concernent la dépendance à des substances agissant sur le cerveau. Mais pas seulement, car certains comportements sont aujourd’hui analysés comme des addictions à part entière.
L’addiction se définit comme la répétition d’actes susceptibles de provoquer du plaisir et de soulager un malaise intérieur. Elle est marquée par la dépendance à un objet matériel ou à une situation recherchés, et se caractérise par sa persistance en dépit des conséquences négatives. Employé de façon courante par les Anglo-Saxons (to be addict to signifie s’adonner à), le terme a surtout été utilisé en France à partir des années 1990 dans le domaine de la psychopathologie, après avoir désigné aux États-Unis, dans les années 1970, les conduites de dépendance aux substances psychoactives (tabac, alcool, drogue). Regroupées sous le terme d’addiction se trouvent des conduites diverses et complexes touchant l’individu dans sa globalité somato-psychique, mais également dans son rapport au monde et à autrui.
Aujourd’hui, grâce à l’avancée des travaux de recherche et à la convergence des constats cliniques, les addictions se répartissent en deux grandes catégories : les addictions aux substances et les addictions comportementales. Les addictions aux substances psychoactives ont pour particularité d’agir sur le cerveau, et ainsi de provoquer des sensations et des modifications de l’activité mentale et comportementale du consommateur. Elles concernent la consommation problématique de substances, qu’elle soit licite (tabac, caféine, médicaments, alcool) ou illicite (héroïne, cocaïne, cannabis, LSD…). Puis de « nouvelles addictions » ont été identifiées : ce sont les addictions sans drogue, que l’on appelle également les addictions comportementales. Sont répertoriés au sein de cette catégorie principalement les troubles des conduites alimentaires, les différentes formes de jeu pathologique, la dépendance à Internet, les achats compulsifs, l’addiction au travail et l’addiction au sport.
Plusieurs extensions conduisant à une délimitation imprécise de cette notion ont amené Aviel Goodman, psychiatre américain, à proposer une liste de critères pour évaluer les troubles addictifs (1990) : impossibilité de résister aux impulsions à réaliser ce type de comportement ; sensation croissante de tension précédant immédiatement le début du comportement ; plaisir ou soulagement pendant sa durée ; sensation de perte de contrôle pendant le comportement ; présence d’au moins cinq des neuf critères suivants : a) préoccupation fréquente au sujet du comportement ou de sa préparation, b) intensité et durée des épisodes plus importantes que souhaitées à l’origine, c) tentatives répétées pour réduire, contrôler ou abandonner le comportement, d) temps important consacré à préparer ces épisodes, à les entreprendre ou à s’en remettre, e) survenue fréquente des épisodes lorsque le sujet doit accomplir des obligations professionnelles, scolaires ou universitaires, familiales ou sociales, f) activités sociales, professionnelles ou récréatives majeures sacrifiées du fait du comportement, g) perpétuation du comportement bien que le sujet sache qu’il cause ou aggrave un problème persistant ou récurrent d’ordre social, financier, psychologique ou physique, h) tolérance marquée : besoin d’augmenter l’intensité ou la fréquence pour obtenir l’effet désiré, ou diminution de l’effet procuré par un comportement de même intensité, i) agitation ou irritabilité en cas d’impossibilité de s’adonner au comportement. Certains éléments du syndrome ont duré plus d’un mois ou se sont répétés pendant une période plus longue.
 Le risque est d’amalgamer ce qui peut être de l’ordre de l’habitude, voire de la passion, avec les addictions qui occasionnent des conséquences négatives pour la personne et son entourage. La dépendance est souvent mise en avant pour justifier l’addiction. Or, la dépendance n’est pas toujours pathologique, dans le sens où certaines dépendances sont tolérables pour un individu et n’occasionnent pas d’effets particulièrement néfastes sur sa vie. En revanche, la dépendance devient pathologique à partir du moment où elle envahit l’existence du sujet au point de devenir le principal centre de préoccupation au détriment d’autres investissements affectifs, relationnels, sociaux, professionnels, familiaux, etc. Afin d’éviter une utilisation massive et inadaptée du terme, l’appellation « addiction » résulte d’un diagnostic bien précis.

Causes endogènes et/ou exogènes

Les recherches actuelles, pour tenter de mieux comprendre les addictions, portent essentiellement sur les facteurs de vulnérabilité et les facteurs de protection. Les facteurs de vulnérabilité peuvent être à la fois endogènes (liés à la personne) et exogènes (liés à l’environnement et au contexte). Très variables d’une personne à l’autre, ils ne rendent pas les sujets égaux face aux addictions. De très nombreuses voies peuvent conduire à l’installation des conduites addictives : il est donc impossible d’isoler chez un sujet donné un unique facteur de vulnérabilité qui aurait, à lui seul, une valeur prédictive de la survenue d’une addiction. C’est un ensemble de facteurs associés entre eux qui constitue une vulnérabilité au développement d’une addiction. Ces facteurs sont de trois ordres : les facteurs liés à l’objet même de l’addiction (par exemple, le pouvoir toxicomanogène de certaines substances dont on sait qu’elles engendrent plus rapidement que d’autres un état de dépendance) ; les facteurs individuels de vulnérabilité (les aspects dimensionnels de la personnalité, les comorbidités telles que l’anxiété et la dépression, le rôle des facteurs neurobiologiques et génétiques) ; les facteurs liés à l’environnement (milieu de vie, contexte familial, influence des pairs…).
Les facteurs de protection sont considérés comme des modérateurs du risque et de l’adversité. Ils permettent de réduire l’effet d’une situation à risque, et ainsi d’éviter les répercussions négatives du risque sur l’individu. Comme les facteurs individuels de vulnérabilité, les facteurs de protection sont de différentes natures dans le champ des addictions. Ils reposent à la fois sur des facteurs individuels (bonne estime de soi, capacité à investir différents domaines d’activités et relationnels…) et des facteurs environnementaux (un soutien familial ; un réseau social non consommateur…). La majorité des travaux insiste principalement sur les facteurs psychoaffectifs et psychosociaux favorisant la capacité du sujet à s’adapter, à traverser des expériences personnelles plus ou moins douloureuses.
BIBLIOGRAPHIE :
Les Addictions comportementales. Aspects cliniques et psychopathologiques
Isabelle Varescon, Mardaga, 2009.
Les Conduites addictives. Comprendre, prévenir, soigner
Alain Morel et Jean-Pierre Couteron, Dunod, 2008.
Les Addictions. Panorama clinique, modèles explicatifs, débat social et prise en charge
Marc Valleur et Jean-Claude Matysiak, 2e éd., Armand Colin, 2006.
Psychopathologie des conduites addictives. Alcoolisme et toxicomanie
Isabelle Varescon, Belin, 2005.
À savoir :
Les données épidémiologiques, quand elles existent, varient en fonction du type d’addiction. Avant d’avancer quelques chiffres, il est prudent de rappeler qu’ils varient selon les méthodes utilisées (critères diagnostiques, instruments d’évaluation retenus et lieu d’investigation) et les sources de publication. Par exemple, en France, 2 à 8 % de personnes seraient concernées par l’addiction aux achats ; la prévalence d’anorexie mentale varierait de 1,6 % à 4 % et la boulimie de 2 % à 5 %. 8 à 10 % auraient un usage nocif d’alcool, plus de 25 % seraient dépendants du tabac, et moins de 1 % présenteraient une dépendance aux opiacés.

Prise en charge

Actuellement, différentes modalités de soins et d’aide peuvent être proposées en fonction de l’état physique et psychique, des souhaits et des potentialités de la personne. Le plus souvent, dès le début de la prise en charge et en fonction du type d’addiction, l’hospitalisation pour sevrage, l’aide sociale si besoin, la psychothérapie et les traitements médicamenteux (traitements de substitution pour certaines addictions aux substances, traitements spécifiques pour les troubles associés) sont proposés. Il existe des centres spécialisés dans la prise en charge des addictions, et chaque centre hospitalo-universitaire (CHU) propose des consultations en addictologie. Une prise en charge pluridisciplinaire est fortement recommandée. »

Isabelle Varescon

Professeure de psychopathologie à l’université Paris-V, responsable de l’équipe de recherche Psychopathologie des addictions et des émotions à l’Institut de psychologie. Auteure de Psychopathologie des conduites addictives. Alcoolisme et toxicomanie, Belin, 2005, elle a dirigé récemment Les Addictions comportementales. Aspects cliniques et psychopathologiques, Mardaga, 2009.

A propos

Présidente de l'association Psychologue Clinicienne, psychothérapeute, spécialisée conduites alimentaires
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