« Ressources inhumaines, critique implacable de notre société, a imposé le ton froid et cruel de Frédéric Viguier dont le premier roman se faisait l’écho d’une « humanité déshumanisée ». On retrouve son univers glaçant et sombre, qui emprunte tout à la fois au cinéma radical de Bruno Dumont et au roman social. Mais au drame d’un bourg désindustrialisé du nord de la France, Frédéric Viguier ajoute le suspense d’un roman noir. Dès lors, l’histoire d’Yvan, un adolescent moqué pour sa laideur et sa différence, accusé du meurtre de son petit voisin, prend une tournure inattendue ».
P 12 « Au lycée, j’essaye de ne pas m’occuper de mes camarades, de négliger leurs brimades. Je ne réplique jamais, comme si j’admettais que mes bourreaux avaient raison, comme si j’étais d’accord avec eux. Je me dis que je ne mérite pas mieux que leur mépris, puisque personnellement je me méprise. La différence, c’est que je m’accepte, et qu’eux me rejettent./ Je ne veux penser qu’au temps qui passe, mais le temps passe et ma situation ne s’arrange pas. Alors, avant de franchir les portes de l’établissement, je me prépare, je cherche à ignorer ce que l’on me fait subir, mais c’est tellement difficile de simuler le mépris, quand on a que sa figure pour se protéger des autres. Un jour, j’ai pris conscience que les années avaient passé, sans que l’on me prévienne, et que le souvenir de mes espoirs de rédemption s’était estompé, au même rythme que la transformation de mon visage. La laideur s’était définitivement imposée et l’ensemble de mon corps n’avait pas résisté au processus ».
L’intrigue de ce roman est comme coupé à l' »herminette »(instrument qui sert à travailler le bois). Cet écrit pointe les impacts de la maltraitance psychologique et physique en famille et en dehors. Il insiste aussi sur les effets de l’isolement social, des déterminismes économiques sur un enfant non « élevé » ou non promu depuis sa naissance (nié dans son besoin reconnaissance d’existence propre).
On sera le témoin comme lecteur, d’une discrimination par ses paires à partir d’une apparence différente (une obésité), une manière d’être différente (introversion), du sentiment d’être laid à un éprouvé de honte.
On s’interrogera sur les causalités d’un « meurtre d’enfant » dans une logique non binaire, car de quel meurtre enfant s’agit-il? De la victime ou du bourreau? Dans une circulation subtile des places.
Avec brio Frédéric Vignier ramène au centre de son intrigue la place du social et de la misère psychologique et dépasse la question « du paraitre ».
Pour que l’un se libère de son aliénation l’autre doit-il être « tué »? Ce roman interroge cette logique implacable du meurtre de l’autre et de ce qui a manqué pour qu’il en soit autrement sur les questions d’altérité et de leur possible dialogue. Pour ce faire puisse notre d’humanité pouvoir en accueillir les faiblesses multiples.