Corps-espace et Corps-place Corps-limite et corps-cadre
L’obésité : Prise d’espace-prise de place, manière d’échapper à l’emprise..
Questionnement sur le corps médical ou soignant qui s’occupe, s’intéresse aux obèses, aux gros, aux personnes qui ont des conduites alimentaires qui «dysfonctionnent»
Quel rôle, quelle place nous donnons-nous? Que nous soyons médecins, diététiciens ou psychologues, que venons-nous faire sur ce terrain-là?
Y-a-t-il toujours eu des obèses, des gros? Deviennent-ils plus nombreux? Pour certaines sociétés l’obésité est devenue une « pandémie » C’est la pathologie du siècle, d’autres n’ont font pas un cas de santé publique ! Questions politique? De santé, de coût?
Quel est notre regard, notre démarche avons-nous un souhait vis-à-vis d’eux?
Où la demande se situe elle? La notre, celle du sujet gros, obèse? Peut-être ne répond elle pas uniquement à un problème de santé , à un malaise physico-psychique, mais également au souci d’une société qui souhaiterait les recadrer les normer…?
Corps médical, cadre médical, cadre thérapeutique face au corps obèse,
L’obèse, le très gros ,dépasse les normes, dépasse les bornes. Son physique visible par son ampleur, interroge, ouvre de nombreux sujets:
– Les limites corporelles et les repères physico-psychique, les notions de dedans et dehors
– le rapport de tout homme à la nourriture, et des différences entre espèces humaine et animale.
– Existe-t-il une histoire génétique de l’obésité ?
– La relation mère-bébé dans la relation de maternage a-t-elle une influence réelle ou non sur son comportement alimentaire?
Sortir du cadre, être hors cadre.
Hors du cadre physique, juridique, social et même médical.
Cette prise de place semble difficile à vivre pour les autres corps, soi-disant normés,qui se sentent agressés, impuissants…
Ce sujet au corps de trop, ne renvoie-t-il pas à un interdit majeur pour les autres : prendre toute la place, voir les places.. Se permettre d’envahir l »espace, se faire voir plus que les autres… »Être trop »!
Cet obèse est vécu comme un débordement. Il prend trop de place il mange de trop, il prend de trop, il mange la part des autres…
Il semble incapable de se contrôler.
Notre corps s’inscrit dans la société dans laquelle il vit et signe une adhésion ou non aux règles de partage, or sa soi-disant gloutonnerie apparaît aux yeux des autres comme une violation des règles du partage de la nourriture, et , pourrait donc être une menace des fondations de l’organisation sociale renvoyant le sujet, le citoyen dans son rapport à la loi. Loi de la société, loi du père
» L’obèse viole les règles qui gouvernent le manger, le plaisir, le travail et l’ effort, la volonté et le contrôle de soi. En d’ autres termes, l’ obèse (son corps le trahit) passe pour quelqu’un qui mange plus que les autres, plus que la normale, en un mot : plus que sa part. » B Brusset.
La figure du corps personnel comme celle du corps social et l’image de leur effraction sont, le produit d’un discours socio-historique qui définit l’ordre patriarcal. En débordant, en attaquant le sujet obèse déborde, envahit s’attaque à la norme du corps social; il brise la standardisation dominante et enfreint une limite.
Mais que signifie avoir des problèmes de poids? A quoi renvoie ce sur-poids?
Y a-t-il quelque chose au dessus de ce poids? Qu’en est-il du corps médical social face à ce corps obèse, Qu’est-ce qui pèse si fort?
Les mots utilisés pour évoquer l’obésité dans la langue française sont plein de sens ….et n’évoquent plus la même chose depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Le gros , sujet considéré comme costaud, fort, bon vivant, pléthorique, est aujourd’hui dans certaines sociétés considéré comme de trop ce corps corpulent ,«corps-pulent» , ce corps-hurlant, le corps-lent …l’obèse, l’«o-baise» du latin (obesus) de obedere, qui signifie consommer, dévorer, mais à également le sens de saper, éroder.
Son ampleur est perçu de manière très ambigu.
Dès qu’il ouvre la bouche pour manger, c’est de trop…Il est vécu comme un cannibale, il ne mange pas il dévore !
Considérons simplement l’ étymologie de certains des termes les plus courants pour décrire le corps adipeux : elle indique de fortes connotations négatives. Le latin crassus, qui signifie épais, grossier, a donné grasso en italien, graisse en français, mais aussi crasse, et crass en anglais. Cette proximité ne semble guère indiquer un penchant ancien en faveur de la graisse.
Il semble parfois dans le discours des soignants que la formulation:» obèse» signe un constat qui arrête le temps, comme si déjà face à cette masse de chair rien ne changerait ni ne bougerait. Corps que l’on pourrait malaxer, fondre mais qui retrouverait toujours son ampleur l’obèse semble inoxydable.
Depuis quelques années des soignants essayent de comprendre ( prendre avec soi), cet autre qu’est l’obèse, ce même, ce sujet, qui n’est pas eux mais qui pourrait l’être…Ils se sont interroger sur la méthode, fallait-il proposer toujours de la restriction, de la culpabilité?
Face à ce face à face obèse-soignant, est-ce David et Goliath et dans quel sens? Et à quelle place?
Ce rapport duel, double, regard croisé… fait penser au regard mère-enfant…Que va-t-il se passer quand l’enfant sera nourrie pour la première fois par sa «mère» de manière externe et non plus interne?
Que vient-il chercher?
Un régime, une limite, un nouveau regard, une parole…Peut être une écoute, corps du délit qui deviendrait corps communiquant, lien, pont entre lui et l’autre, zeugma entre l’extension corporelle et cette attention constante qu’il suscite.
On peut s’interroger sur ce quoi est fait cette demande Il y a comme l’annonce d’un rechute annoncée; attente quasi magique d’un changement tout en partant battu d’avance. Mise en scène d’une bataille avec soi même, lutte qui n’a pas de fin , sans faim, où le soignant est mis en place d’être un spectateur impuissant.
Tout se passe comme si sur cette scène se rejouait une pièce ancienne où il est question de pouvoir, du rapport à la loi. Ces «Pénélope» font et défont fondent prennent et reprennent du poids. Arrêt du temps, qui provoque un morcellement de l’espace-temps.
Mais il y a toujours une tentative de reprise…
Cette demande ne semble jamais assouvie comme boulimique Tout se passe comme si les mots comme la nourriture ingérée ne rassasiaient pas, puit sans fond, espace psychique sans fondement; rien ne s’inscrit, rien n’est retenu, comme une ardoise magique, tout s’efface, tout est à recommencer, reprise infinie, pas de reste , ni dans l’assiette, ni dans la tête…
Enfant porté puis supporté par la famille, la société, il semble indispensable d’avoir une nouvelle approche du sujet obèse qui nous fait face. Il ne peut ni ne veut rentrer dans des cases, la réflexion pourrait porter de l’idée d’une écoute puis d’un accompagnement pour lui permettre de se réapproprier voir de s’approprier son corps, sa parole, lui permettant alors de trouver un chemin, un espace qu’il lui convienne, en en faisant peut être de trop, si cela l’équilibre, afin qu’il puisse s’inscrire, et que les mots, les mets puissent être ressentis et donc rester… Cela pourrait être peut être une démarche où l’ébauche d’une envie, d’un désir où du plaisir pourrait émerger.